Mes coquillages habités ou broken shells
Je suis fascinée par la beauté des coquillages, comme le furent tant de poètes et de savants avant moi. Ils en parlent bien mieux que je ne saurais le faire :
Paul Valéry l’homme et la coquille (extrait)
Comme un son pur, ou un système mélodique de sons purs, au milieu des bruits, ainsi un cristal, une fleur, une coquille se détachent du désordre ordinaire de l’ensemble des choses sensibles …
Ce coquillage, que je tiens et retourne, entre mes doigts, et qui m’offre un développement combiné des thèmes simples de l’hélice et de la spire, m’engage, d’autre part, dans un étonnement et une attention … Et je me sens l’esprit vaguement pressentir tout le trésor infus des réponses qui s’ébauchent en moi devant une chose qui m’arrête et qui m’interroge …
Ainsi l’idée de tube, d’une part ; celle de torsion, d’autre part, suffisent à une sorte de première approximation de la forme considérée. Mais cette simplicité n’est que de principe. Si je visite toute une galerie de coquilles, j’observe une merveilleuse variété. Le cône s’allonge ou s’aplatit, se resserre ou s’évase ; les spirales s’accusent, ou se fondent ; la surface se hérisse de saillies ou de pointes, parfois fort longues, qui rayonnent ; elle se renfle quelquefois, se gonfle de bulbes successifs que séparent des étranglements ou des gorges concaves sur lesquelles les tracés des courbes se rapprochent. Gravés dans la matière dure, sillons, rides ou stries se poursuivent et se soulignent, cependant qu’alignées sur les génératrices, les saillies, les épines, les bossettes s’étagent, se correspondent de tour en tour, divisant les rampes à intervalles réguliers. L’alternance de ces « agréments » illustre, plus qu’elle ne l’interrompt, la continuité de la version générale de la forme. Elle enrichit, sans l’altérer, le motif fondamental de l’hélice spiralée …
Gaston Bachelard La Poétique de l’espace (extrait)
À la coquille correspond un concept si net, si sûr, si dur que, faute de pouvoir simplement la dessiner, le poète, réduit à en parler, est d’abord en déficit d’images. Il est arrêté dans son évasion vers les valeurs rêvées par la réalité géométrique des formes. Et les formes sont si nombreuses, souvent si nouvelles, que, dès l’examen positif du monde des coquilles, l’imagination est vaincue par la réalité. Ici, la nature imagine et la nature est savante. Il suffira de regarder un album d’ammonites pour reconnaître que, dès l’époque secondaire, les mollusques construisaient leur coquille en suivant les leçons de géométrie transcendante. Les ammonites faisaient leur demeure sur l’axe d’une spirale logarithmique …
Les coquillages sont parfaits, il n’y a rien à y ajouter, la nature est indépassable. Alors je les brise, broken shells, pour dévoiler ce qu’ils pourraient cacher.